Garnison Le 24 novembre, la caserne de Dailly, au-dessus de Lavey, fermera officiellement ses portes, après cinquante ans de présence de l'armée dans la région. Les toutes dernières recrues de son histoire auront quitté les lieux et les chambres au cœur de la roche demeureront vides. Du moins, jusqu'à ce que le futur de la place d'armes soit défini. A ses pieds, à St-Maurice, les patrons de bars et de restaurants pleurent ce départ. Chaque mercredi, une centaine de jeunes hommes principalement va se sustenter en plaine. Cet argent dépensé en milieu de semaine fait le bonheur des commerçants qui craignent alors de finir par vivoter, malgré les initiatives de l'office du tourisme et de la commune. Reportage dans la Grand-rue agaunoise, en compagnie des recrues, un soir de sortie.

Textes et photos : Valérie Blom
Certains disent que la Dent de Morcles est creuse. Que la montagne est parsemée de galeries construites dès la fin du XIXe siècle. Qu'elles ont servi durant les deux guerres mondiales. Or aujourd'hui, de telles fortifications ne correspondent plus à la stratégie de défense de la Confédération. Dans le cadre de la restructuration de l'armée helvète, la place d'armes de St-Maurice passe à la trappe, ainsi que celle de Dailly, située juste au-dessus du village de Morcles (VD). Le 24 novembre, les portes seront officiellement closes.
La caserne servait de toit aux recrues de l'école d'infrastructure et Quartier Général 35. Environ 200 jeunes hommes (et parfois quelques femmes) y montent en avril, en juin ou en octobre pour y devenir soldats d'infrastructures. Chaque mercredi, ils ont droit au souper facultatif, qu'ils peuvent prendre dans l'un des restaurants de St-Maurice. De quoi ajouter du beurre dans les épinards des commerçants de la Grand-rue. Ce 13 septembre, ils seront 90 à affronter les 29 contours en Duro (véhicule de transport militaire) pour manger en plaine. Les autres auront droit à leur repas sur place.
«Une défaite»
A quelques semaines du départ de ces toutes dernières recrues de Dailly, les commerçants font la grimace. «C'est une catastrophe», scande Joao Da Costa, patron du Napoli. Il estime que la fermeture de la caserne représentera un manque à gagner, même s'il lui est impossible de le chiffrer. «Ce sont les seuls qui viennent en nombre pendant la semaine», précise-t-il. Il sait pourtant qu'il n'y a rien à faire contre cette décision. «Une défaite», déplore Urso Santino, propriétaire des Trois tables.
Il ne s'agit pas du premier exil des militaires de la région. Il y a quelques années, une autre école de recrues était basée à Savatan. «Je me souviens de l'époque où les conscrits débarquaient à plusieurs centaines pour le «souper fac», avance Romuald Coutaz, à la tête de la Pinte. Cela ne va pas changer grand-chose pour mon bistrot, mais il s'agit d'un coup de rabot supplémentaire qui fera mal aux commerces.»
Un seul vœu: une fenêtre
Les recrues lustrant dans leur tenue A, celle de sortie, ont envahi la Grand-rue. Ce soir-là, une tablée de 8 sous-officiers consomme pour un peu plus de 200 francs. Durant ces sorties, certains optent pour la pièce de viande, d'autres préfèrent manger rapidement un kebab et passer davantage de temps à boire des bières. «L'armée amène la vie à St-Maurice, confie Alina Sula, patronne de l'Adriano. Après toutes ces années à servir les militaires, ce sera dur de vivre leur départ.»
Les jeunes hommes connaissent les derniers jours de l'histoire de faits d'armes de Dailly, mais la plupart s'en émeuvent peu. «Nous avions comme projet de faire un badge, mais nous n'avons pas pu le mener à bien», confie l'appointé chef Cattin. La plupart sont fiers d'avoir vécu dans un endroit particulier, même si dormir à Dailly signifie vivre au cœur de la montagne, sans fenêtre (voir encadré). «Cette fermeture est triste», confie Crettenand. «Une très bonne école de recrues! lance son camarade Minisini. Conviviale mais laissant repartir avec de sacrés mollets de montagnard.»
Ils rigolent, parlent fort en français ou, souvent, en suisse-allemand. Deux tiers des conscrits de l'école d'infrastructure viennent d'outre Sarine. «Ils réservent rarement, on ne sait donc jamais s'ils vont arriver à 8 ou à 30, s'exclame Christelle, serveuse au Restaurant de la gare. Mais c'est animé, ils égayent souvent mon samedi matin, avant de monter dans leur train.» Sa patronne, Patricia Lafarge, voit un autre problème pointer. «Il y a le risque que St-Maurice soit suréquipée en restaurants et qu'en définitive tout le monde finisse par vivoter.»
Un futur sans vert, mais de couleurs
La pizza, le burger ou la pièce de viande avalés, soldats, appointés ou sergents se dirigent vers les bars pour boire une ou plusieurs bières avant de rejoindre leurs Duros, à 22h. «Personnellement, je remets mon enseigne en octobre, donc j'observe la situation à distance, lâche Jean-Luc Bontems, qui détient le Peter's pub. Mais il est clair que l'Adriano et moi serons les principaux bistrots perdants.»
St-Maurice ne compte toutefois pas se laisser abattre. La cité possède un long passé militaire, commençant avec celui qui lui a offert son nom, et qui se terminera avec la fin de l'école de recrues. «Nous savons depuis longtemps que l'avenir de la ville n'est pas lié à celui de l'armée. Son futur est ailleurs», affirme son président, Damien Revaz. L'office du tourisme a mis sur pied de nombreuses activités pour attirer le monde et surfer sur la vague du 1500e anniversaire de l'Abbaye en 2015. La commune soutient financièrement ces évènements, tels que le festival Nuance pop en été, Lumina début décembre ou encore le marché monastique de la fin du mois de septembre. «Il faut saluer ces démarches, commente Patricia Lafarge. Les autorités ne viennent pas solliciter l'appui financier des commerçants et nous demandent juste de faire notre travail.»
Des manifestations pour animer la Grand-rue et s'éloigner de la hantise des patrons, la cité-dortoir. Une réalité qui n'est pas agaunoise, selon son président. «Pour 4600 habitants, environ 2000 personnes travaillent à St-Maurice. Le ratio n'est de loin pas mauvais!»
Les commerçants savent qu'il est de toute manière impossible de se battre contre cette décision. Sans véhicule ou soldat parsemant la ville du vert si particulier de l'armée , il y aura une absence que le temps finira par combler. Et au-dessus de Morcles, Dailly a déjà trouvé de nouveaux hôtes, plus poilus, et plus habiles à grimper de la place d'appel (1250 m) au sommet de la caserne, Aiguille (1450 m). Le futur du site n'est pas encore défini, les chamois peuvent alors y demeurer tranquilles...