Lausanne L'Opéra a entamé sa saison avec Lucia di Lammermoor de Gaetano Donizetti, un classique de l'amour impossible, menant au drame et à la mort. L'institution lausannoise marque les esprits avec sa récente campagne décalée, cherchant à casser les préjugés liés à l'art lyrique. Le Régional s'est glissé dans le public pour découvrir ce qui fait la magie du genre et s'il souffre toujours de clichés élitistes.

Valérie Blom
La foule se presse entre le parterre et les trois balcons. Elle est bigarrée, en fonction de la couleur des robes de Madame. Tout le monde n'a néanmoins pas choisi la tenue de sortie. Certaines personnes sont venues en Jean's et baskets. La moyenne d'âge est élevée, mais ci et là, des jeunes ont tout de même franchi la porte de l'Opéra de Lausanne ce 4 octobre, pour le premier spectacle de la saison , Lucia di Lammermoor. «C'est grâce à son père, confie une jeune fille accompagnée de son ami. Il lui a fait découvrir l'art lyrique. De mon côté, j'aime tout ce qui participe à la culture.»
Le rideau se lève. Les premières notes montent de la «fosse» où se trouve l'orchestre. Sur scène, les membres du chœur se déplacent lentement. L'atmosphère s'alourdit dès les premiers chants: Enrico, le frère de Lucia, veut la marier avec Arturo pour s'assurer une alliance contre Edgardo, son ennemi juré. Mais il apprend que sa sœur s'est éprise d'Edgardo, et que ses sentiments sont réciproques. L'histoire est posée. Le cadre est classique. L'amour des amants maudits les détruira-t-il?
Mariage et trahison
Si le décor, métallique et froid, est presque trop contemporain pour l'œuvre, les voix et les chants italiens touchent l'âme, par leur profondeur et leur force. L'arrivée de Lucia, dans sa cage argentée, donne toute sa beauté au spectacle. Le destin de cette femme se déchire entre tous ces hommes, dont son amant, à qui elle se fiance en secret. Le temps des promesses et de l'espoir. Rompu ensuite par son frère et Normanno, le chef des hommes d'armes, qui font croire à Lucia qu'Edgardo l'a remplacée.
Lucia, le cœur brisé, partagée entre son frère, son devoir, sa raison et son cœur, Edgardo. Si l'amour avait représenté la fuite du devoir, ce dernier signifie la mort de l'amour. Et c'est bien ce qui se passe, lorsque, la sachant mariée, Edgardo surgit, mortifié de voir sa promesse trahie. Le public est silencieux. Il retient son souffle et partage la douleur de Lucia. Ses robes diffèrent d'un acte à l'autre. D'abord rouge passion, puis noir du deuil, de la souffrance, avant d'enfiler celle blanche du mariage. L'occasion d'une renaissance? Lucia décide de se libérer de ses contraintes en tuant son époux, Arturo. Mais s'enferme dans une autre cage en sombrant dans la folie.
La mort... et la voix
Vient alors l'air tant attendu. Celui qui a inspiré le critique anglais Henry Chorley au point d'évoquer la perfection lors du chant de Fanny Tacchinardi, la première Lucia. Dans cette version contemporaine, l'artiste n'est pas accompagnée par la flute mais l'harmonica de verre, qui s'ajoute à la poésie du moment. Son mari Arturo git dans son sang, et Lucia elle-même rougit au fur et à mesure que le liquide rouge coule de ses doigts, lorsqu'elle cède à la folie. Certains chuchotent dans l'assemblée, marquée par cette scène crue. Et pourtant, l'instant transpire de la violence de l'histoire, du destin tragique de Lucia. Le choix du metteur en scène sonne juste.
Le public est soufflé. Tant par la prestation de Lucia (Lenneke Ruiten) que celle d'Edgardo (Airam Hernández), qui se suicide après avoir appris la mort de sa bien-aimée. Lorsque les notes de leurs voix s'éteignent, le silence s'impose dans la salle avant les applaudissements. L'émotion est forte. A l'entrée, juste avant de s'asseoir, un couple de personnes âgées avouait revenir chaque année à Lausanne, se plaisant à découvrir ou redécouvrir des classiques. «On aime tout, c'est beau», confiaient ces deux amateurs. Devant la mort des amants maudits, leurs chants, leurs complaintes face au destin et leurs promesses de se retrouver dans la mort, il est possible de sentir, de comprendre toute la force de l'Art de l'Opéra.