L'artiste genevois Alain Pittet transforme des grimoires endommagés par le temps en oeuvres d'art. A découvrir dès le 27 février à l'occasion des expositions éphémères du Château d'Ouchy.

Entretien et photo: Xavier Crépon
«Ces pièces ont tellement de choses à raconter. Quand je travaille leur matière, je rentre dans la fibre du papier et je pars à la découverte de son histoire ainsi que celle de tous les artisans qui ont contribué à son élaboration.» Emerveillé par les livres datant d'avant 1820, l'artiste genevois Alain Pittet s'est donné pour mission de redonner vie aux anciens ouvrages dévorés par la vermine ou l'humidité. Il les détruit, les malaxe puis les recompose pour faire rejaillir leur mémoire sous forme d'œuvres modernes. Avec Liber Mirabilis, ce professionnel qui sculpte et peint depuis plus de vingt ans présentera ses créations pendant le premier semestre du nouveau programme d'expositions éphémères du Château d'Ouchy. Entre les murs de la bâtisse du XIIe siècle, Le Régional a rencontré un homme entièrement dévoué à l'art abstrait.
Détruire des ouvrages centenaires, vous n'avez pas honte?
Non pas du tout. J'utilise uniquement des livres qui n'ont plus aucune valeur émotionnelle ou pécuniaire. Quand j'en déniche, je m'assure toujours que ces grimoires ne revêtent plus aucun intérêt. Ce sont des écrits religieux ou historiques souvent rongés par la vermine ou endommagés par l'humidité. Le livre reste sacré pour moi. Lorsqu'il est en bon état malgré les siècles traversés, je ne me sens pas à même de le détruire.
Et peut-on en tirer quelque chose hormis de la poussière?
C'est justement quand il y a déjà une déchirure du temps que ma curiosité est attisée. Je reste fasciné par cette matière qui survit à toutes ces attaques perpétrées à son encontre. Parfois les livres partent en lambeaux, mais ce n'est pas grave. J'en utilise plusieurs pour élaborer mes œuvres. Le fait d'employer différents ouvrages me permet également d'être encore plus créatif avec cette variété de couleurs dépendante de l'état de conservation du papier.
Au-delà du livre et de son contenu, c'est surtout son histoire qui vous intéresse?
C'est une composante essentielle de mon travail. Je m'immerge dans l'histoire de l'ouvrage au travers de son époque et de ses lieux de fabrication pour m'inspirer et pour créer un lien avec mes œuvres contemporaines. Ces dimensions ont toutes leur importance et renferment un savoir précieux, c'est le vécu de la matière. Si elle arrive aujourd'hui entre mes mains, c'est aussi grâce à toute une filière artisanale qui a œuvré à son élaboration au préalable. C'est pour cela aussi que je me concentre uniquement sur les ouvrages antérieurs aux années 1820. Chaque feuille était alors fabriquée manuellement par les artisans qui transformaient les chiffons de lin, de coton et de chanvre en papier. Cette matière a donc une histoire chargée d'énergie qui ouvre à la découverte et à l'imaginaire. Ces chiffons ont probablement beaucoup voyagé et ont même peut-être été portés comme habits. Quand j'en défais les fibres, il se passe quelque chose de spécial. Ce toucher du papier ancestral est un retour aux sources à l'heure du tout numérique.
Le Château d'Ouchy innove 27 février, à 18h: Vernissage en présence de l'artiste et de la cantatrice Marjeta Cerar au Château d'Ouchy. www.chateaudouchy.ch