Santé Aussi minuscule que redoutable, elle se dissimule dans les hautes herbes et les sous-bois, attendant patiemment le passage d'un hôte pour s'y accrocher en y plantant ses rostres acérés. Elle est particulièrement active du printemps à l'automne et porte le doux nom d'Ixodes ricinus, l'espèce de tique la plus répandue en Suisse. Cet arachnide est surtout vecteur de différents agents pathogènes qu'il peut transmettre à l'homme. Avec comme conséquences des maladies qui peuvent s'avérer difficiles à diagnostiquer et à traiter et qui constituent aujourd'hui un «véritable problème de santé publique» selon le Conseil Fédéral. Désemparés, de nombreux patients qui pensent en souffrir sans être reconnus par la médecine officielle, se tournent vers des thérapeutes dispensant des antibiotiques à hautes doses, ou vers des médecines alternatives. Enquête. La maladie de Lyme est-elle en train de devenir une épidémie mondiale? Elle serait en tout cas «largement sous-diagnostiquée», selon Christian Perronne, Chef du service des maladies infectieuses à l'hôpital universitaire Raymond-Poincaré de Garches/Paris.

«C'était au printemps de l'an dernier. Je m'étais déchiré le ménisque à ski et devais être opéré. Mais mon genou a commencé à grossir, mon médecin a dû faire au moins cinq ou six ponctions et il trouvait ça pas très normal... Puis ma jambe a triplé de volume et j'ai dû être opéré d'urgence au CHUV à Lausanne. Et là, après avoir éliminé différentes causes possibles, ils ont prélevé du liquide de mon genou qu'ils ont mis en culture. C'est comme ça qu'ils ont découvert que j'avais la borréliose ou maladie de Lyme», se remémore Jean-Philippe, la cinquantaine. Suivront une semaine d'hôpital et un mois d'antibiotiques, mais la pathologie laisse des traces pour ce champignoneur: «J'ai parfois des problèmes de dyslexie, que je n'avais pas avant, je suis aussi plus fatigué et j'ai souvent mal au dos et les muscles endoloris le matin. Cet hiver, j'ai eu une grippe qui a évolué en broncho-pneumonie, peut-être aussi à cause de la maladie de Lyme. Il faut vivre avec, mais c'est une épée de Damoclès». Jean-Philippe fait partie des 6'000 à 12'000 personnes qui en Suisse contractent chaque année la borréliose, selon les estimations de l'Office fédéral de la santé publique (OFSP). Et 5 à 30% des tiques, voire jusqu'à 50% par endroits, sont infectées par la bactérie à l'origine de cette maladie, Borrelia Burgdoferi au sens large.
Atteintes multiples
«Différents stades existent dans la maladie de Lyme. Ce qui va se rencontrer le plus fréquemment c'est, une ou deux semaines après la morsure, un érythème migrant (réd: une rougeur qui s'étend de manière circulaire), pour lequel les gens consultent en principe un généraliste. Il est essentiel que le patient soit alors traité au moyen d'antibiotiques», précise Julie Delaloye, Cheffe de clinique en infectiologie au CHUV. «En milieu hospitalier, nous sommes plus fréquemment confrontés à des stades compliqués de la maladie, qui peuvent se manifester, quelques semaines après la morsure, par une atteinte des articulations, du cour, du système nerveux central (méningite, atteinte des nerfs crâniens).» Les tests sérologiques, nommés Elisa puis Western Blot si l'Elisa est positif, permettront alors de préciser le diagnostic. «Il y a aussi d'autres techniques, comme la PCR, qui consiste à chercher l'ADN de la bactérie. La PCR est utilisée dans le cas d'atteintes ciblées: par exemple au niveau des articulations, elle permet de voir si la maladie de Lyme est vraiment en cause.»
Testés négatifs, mais malades
Pourtant, la fiabilité de ces tests, en particulier de l'Elisa, est mise en cause par certains médecins (voir interview ci-contre), mais aussi par des patients. A en croire Anita Comba, l'une des deux interlocutrices pour la Suisse romande de la Ligue suisse des personnes atteintes de maladies à tiques (LMT), l'association serait «débordée par les téléphones de personnes inquiètes et parfois désespérées, dont les tests sont négatifs, mais qui continuent à être malades. J'ai déjà reçu une vingtaine d'appels depuis janvier, et environ 60 l'an dernier».
Coralie (prénom d'emprunt), jeune apprentie habitant le Nord vaudois, témoigne: «J'ai été mordue par une tique au bord du Léman au printemps 2010 et deux semaines après, une tache rouge est apparue sur ma jambe. Mon médecin m'a prescrit une semaine d'antibiotiques. Mais ensuite, j'ai commencé à avoir des douleurs dans les jambes, des problèmes de fatigue et de concentration persistants. Mon médecin m'a fait plusieurs fois le test Elisa et comme le résultat était toujours négatif, il m'a juste conseillée de faire du sport!» En 2014, Coralie se rend chez une médecin française exerçant en Suisse. Celle-ci lui prescrit trois fois deux semaines d'antibiotiques et des compléments alimentaires, un traitement de l'ordre d'un peu plus de 500 frs au total, non pris en charge par l'assurance. «Il y a eu quelques améliorations, notamment au niveau de la concentration, mais j'ai encore mal aux articulations quand je cours et je me fatigue vite», constate la jeune fille. Selon la LMT, de nombreux patients, à l'instar de Coralie, se tourneraient ainsi vers des médecins prodiguant des traitements antibiotiques à hautes doses en dehors du protocole officiel, et dont les noms se transmettraient uniquement de bouche à oreille. Mais aussi vers des thérapies alternatives comme la naturopathie, l'aromathérapie ou l'homéopathie. «Il faudrait vraiment que la borréliose chronique ou tardive puisse être testée de manière fiable et soignée à long terme avec des traitements appropriés et multidisciplinaires», souligne Anita Comba.
Lyme chronique?
Selon Julie Delaloye, «il n'y a pas d'évidence scientifique d'une maladie de Lyme chronique, qui serait caractérisée par des symptômes peu spécifiques comme une fatigue chronique ou un manque de concentration». On peut être sévèrement touché par cette maladie et garder des séquelles importantes, mais ces atteintes sont généralement très spécifiques, au niveau neurologique ou articulaire. «Un certain nombre de patients viennent en consultation parce que toutes sortes de mauvaises informations circulent dans la population et sur le web concernant le Lyme chronique, relève la médecin du CHUV. Dans de tels cas, il est important de discuter avec le patient et d'établir un bilan complet pour exclure d'autres causes. Notre politique est de ne pas prolonger les thérapies antibiotiques.»
Les zones à risques s'étendent
La borréliose de Lyme n'est cependant pas la seule maladie susceptible d'être transmise à l'homme par les tiques. Ainsi, Ixiodes ricinus, la plus commune de la vingtaine d'espèces de tiques répertoriées en Suisse, peut héberger d'autres agents pathogènes, responsables de maladies comme la babésiose, l'anaplasmose, la rickettsiose. Mais c'est surtout le virus à l'origine de l'encéphalite à tiques qui est le plus surveillé actuellement. En Suisse, selon l'OFSP, entre 100 et 250 cas sont déclarés chaque année, et environ 80 patients doivent être hospitalisés. La maladie, qui peut se présenter dans sa première phase par des symptômes grippaux dans les deux semaines qui suivent la morsure de tique, est suivie dans 5 à 15% des cas, après une phase asymptomatique, par une atteinte du système nerveux central. Il n'existe pas de traitement spécifique, et la seule protection efficace repose sur la vaccination, recommandée pour les personnes habitant ou fréquentant les zones à risques. Si, il y a dix ans, le virus était essentiellement présent en Suisse alémanique, il a gagné peu à peu la Suisse romande, notamment les rives du lac de Neuchâtel. «Chaque année il progresse de quelques kilomètres d'Est en Ouest et tout le canton de Vaud devrait bientôt aussi se voir attribuer la qualification de zone à risque», avertit Eric Masserey, médecin cantonal adjoint, en précisant que «des cas isolés d'encéphalite à tiques ont déjà été signalés pour la région entre Lausanne et Villeneuve.»
Le Conseil Fédéral estime pour sa part que «les maladies transmises par les tiques constituent un véritable problème de santé publique». Porte-parole à l'OFSP, Mona Neidhart précise qu'une «version consolidée du programme national de recherche sur les conséquences des maladies transmises par les tiques est en cours d'élaboration». Ce programme devrait être présenté au Fonds national suisse de la recherche scientifique début 2016.
Priska Hess
Interview:
Christian Perronne:
«Les tests ne sont pas fiables»
La maladie de Lyme est-elle en train de devenir une épidémie mondiale? Elle serait en tout cas «largement sous-diagnostiquée», selon Christian Perronne, Chef du service des maladies infectieuses à lhôpital universitaire
D'après le Professeur Luc Montagnier, le monde entier serait infecté par la maladie de Lyme. Vous partagez cet avis?
> A côté de la maladie de Lyme au sens strict, il y a des maladies apparentées et des co-infections pour lesquelles on n'a pratiquement aucun test diagnostic fiable. Mais si l'on s'en tient déjà à la maladie de Lyme au sens strict, elle est largement sous-diagnostiquée, parce que les tests ont été calibrés il y a trente ans pour qu'elle reste une maladie rare. Et ça n'a jamais évolué, malgré les données de la littérature scientifique.
La maladie de Lyme peut se manifester par de multiples symptômes. Est-ce problématique pour le diagnostic
> Effectivement, elle peut donner un peu tout et n'importe quoi, des symptômes très classiques comme l'érythème migrant, mais ça peut être aussi des douleurs articulaires, des troubles de concentration, des problèmes cutanés, cardiaques ou neurologiques. Il y a des formes bénignes, d'autres qui guérissent toutes seules, mais aussi des formes sévères ou chroniques qui détruisent la vie de bien des gens. Finalement beaucoup de médecins en voient tous les jours sans faire le lien avec un possible Lyme. Et comme les tests ne sont pas fiables, certains malades, après une errance médicale, se retrouvent en psychiatrie...
Pourquoi les tests Elisa ne sont-ils pas fiables?
> Pour la maladie de Lyme, on utilise des tests sérologiques, qui consistent à chercher l'anticorps produit par une personne infectée. Calibrer ce type de test est facile si l'on a des groupes de référence bien définis de malades et de témoins. Or, quand la sérologie de Lyme a été mise au point, aucune méthode fiable ne pouvait être utilisée comme étalon, étant donné la non-spécificité des symptômes et la difficulté à isoler le germe lui-même. Le seuil de positivité a donc été défini arbitrairement, en le calibrant sur des donneurs de sang présumés en bonne santé, en faisant en sorte que jamais plus de 5% des témoins soient positifs. De plus, le test est calibré par régions...
On peut donc être négatif dans une région et positif ailleurs?
> Oui, j'ai déjà vu de tels cas. Le problème est que selon les recommandations en vigueur dans l'Union européenne, si le test Elisa est négatif, on ne doit pas faire de Western Blot pour confirmer, et sans preuve sérologique, la plupart des médecins n'admettent pas la maladie de Lyme. Ce qui complique encore les choses est qu'il existe d'autres espèces de la bactérie Borrelia que celles prises en compte dans les tests.
Et qu'en est-il des traitements pour les stades avancés?
> D'après mon expérience, les Borrelia restent à vie chez 80% des malades. La plupart des gens que j'ai soignés, je les ai vus revenir quelques semaines ou années après. Je pense qu'il est nécessaire de recourir à des traitements d'entretien pour prévenir les rechutes, mais pas forcément par antibiotiques. La phytothérapie, par exemple, semble relativement efficace.
Quelles pistes d'actions voyez-vous?
> D'abord d'arrêter le déni et les recommandations dépassées concernant les tests. Il faudrait une vraie reconnaissance de cette maladie. Et que pour cela se crée un groupe de travail multidisciplinaire et si possible international, avec des experts à l'esprit ouvert, qui construisent ensemble des programmes de recherches.
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